Sagnol, j’ai mal aux mots !

7 novembre 2014

Sagnol, j’ai mal aux mots !

« Les mots sont stupides » disait le protagoniste de Boyhood – écrit et réalisé par Richard Linklater – car selon lui, ils ne sont pas assez infinis pour définir notre existence.

Les mots sont stricts car ils sont subordonnés à une définition précise. Ils sont mariés à un sens jusqu’à ce qu’un trope les sépare. Les mots restent fixes, figés, ils donnent une signification précise qui interpelle notre sensibilité. Les mots ont une force terrible, de sorte que toute personne en possession de maux quelconque puisse infliger une souffrance sans précédent à son interlocuteur et cela en deux mots : « Quel con ».

Les mots blessent, pansent, réconfortent, s’effacent, se dépravent, se substituent, changent, se contredisent. Les mots sont complexes et complexés par la recrudescence d’images comportant elles, peu de mots. Même quand leur sens est restreint et prédéfini, l’image entretient le doute. Son interprétation peut même faire frémir le sens initial.

Les mots s’abrègent, se diluent et nous proposent une synthèse de notre pensée. La technologie a accéléré la mise à mort des mots. La facilité prônée par la modernisation, va vers un slogan tout trouvé : « Moins de mots, plus d’images ». Nous vivons dans une époque où les mots sont persécutés. Ces derniers sont obligés de se prostituer pour apparaitre, de fusionner pour transparaitre. Le mot-valise est l’exemple même de la banalisation de la mise à mort des mots par le bon mot.

Il est commun d’être rebuté par l’abondance de mots dans un texte. Combien d’entre nous préfèrent se contenter d’un laconique résumé dès lors qu’une division de mots nous attendrait au front ? Nous privilégions une escouade de jeux de mots bêtement choisie pour nous mastiquer le travail en d’autres termes, pour sérieusement nous divertir. Le sens qui en découlera, aussi imparfait qu’il sera, fera drôlement l’affaire.

Le contexte raidit le sens d’une phrase comme il peut l’adoucir. Un ami qui dit à son ami : « Suce-moi » n’est pas forcément une offre mais plutôt une impolitesse facétieuse. C’est aussi ça les mots, un contexte à prendre en compte, une mentalité, une forme, une culture, une intimité…

Nous pouvons nous repasser une phrase en boucle dans nos têtes, son sens froissera toujours notre sensibilité ; quand bien même, le cœur de son auteur ne serait guère en fer. Un mal aux maux. Et si, ce mal était intérieur ? Et si notre sensibilité aux mots d’autrui résidait dans notre mal propre ? Evidemment me dirait-on. C’est bien là, le danger des mots, le pouvoir qu’ont ces syllabes simplement pensées aux conséquences incongrues sur autrui.

« Sagnol, j’ai mal aux mots » est une fine anagramme de ma part, une faute d’inattention dans les feux de mes revues de presse quotidiennes.  Je pensais Pagnol et le S a surgi par effraction. Il n’est malheureusement pas question de racisme, de polémique, de quota ou encore de ballon dans ce texte. Il est question de maux, de sensibilité et encore plus de mots. Une réflexion nocturne née durant un coup de fil à un ami insomniaque… Bref, Marcel Pagnol disait « Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images. » J’ignore ce qu’il entendait par son noble mais l’a-fri-cain – selon moi – l’a, ce son noble.

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