Extrait : Les draps d’un obsédé

Article : Extrait : Les draps d’un obsédé
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26 mai 2015

Extrait : Les draps d’un obsédé

« Merde… » murmure-t-il.

Il vient de briser un cœur. Une fille pleure dans ses nouveaux draps blancs. Embarrassé, il ne sait pas quoi dire après lui avoir avoué qu’il ne concevait point un futur avec elle. Dans ces moments-là, il n’y a aucun mot dans aucune langue morte ou vivante, vernaculaire ou tribale, qui puisse consoler sa déception. Conscient de la violence de ses actes que j’expliciterai un peu plus loin, conscient aussi de la détresse d’une femme, qui voyait en lui son homme idéal, il n’était pourtant point triste.

Il était plutôt ému comme s’il n’était pas coupable. Une flamme déclarée, aussitôt éteinte avec une froideur stridente. Il pleurait même avec elle tel un spectateur compatissant à son malheur, ignorant la vraie raison de ses pleurs.

« Je t’aime, s’il te plaît aime-moi ! » implorait la fille aux cheveux lisses.

 » Je ne te mérite pas, je me hais tellement de te faire du mal  » répondait le briseur de cœur avec la voix la plus suave possible. Il prit son rôle au sérieux.

Il excellait en termes de double casquette. Il jouait la scène avec justesse et il ressentait une émotion pure en tant que tiers.

Violent. Il fixait son visage inondé de tristesse qu’il n’a jamais trouvé spécialement joli. Quelques boutons décoraient ce blanc scandinave qui tapissait un faciès raide et fin. Son nez était similaire à celui d’un adorable petit carlin. Il pointait vers le haut comme pour renifler à plein temps. Juste en dessous reposaient ses lèvres, aussi épaisses qu’un ticket de métro. A l’opposé de ses canons de beauté qui loue la volupté, la rondeur, la chair comme un tableau de Charles-Stephen Laubhouet.

Trempé, son maquillage peignait la plus terne des toiles vivantes. Ses joues pâteuses étaient le point de rencontre de ses larmes et de sa main molle d’empathie. Comme un essuie-glace, il tentait en vain d’enlever ses quelques traits circassiens qui altéraient le sérieux du dénouement.

« S’il te plaît, essayons. Ça peut marcher entre nous » dit-elle d’une voix éreintée.

Le baroud de déshonneur. Il ne répondra pas directement. Il laissa un temps mort. Le temps de laisser mourir un peu plus ses maigres espoirs.

Il essaie de la regarder comme une femme blessée et non comme un triste clown de cirque. Les yeux plissés, un rire contenu, des larmes de circonstance, il rétorque enfin avec conviction et emphase :

 » J’aimerais tant… mais je n’y arrive pas. Tu aimes l’image que je te donne de moi. Le moi, le vrai, est pitoyable et ne te mérite pas.  »

Ses sanglots ensevelissaient ses nouveaux draps blancs qu’il venait d’acheter à Carrefour, quelques jours plus tôt. Une réelle affaire, vu que le deuxième drap – de la couleur de son choix – était à moitié prix. Oui à moitié prix. Il prit donc quatre draps. Un blanc, celui qui en train de se faire souiller par la moche, un drap marron, encore neuf qui aura une histoire encore plus rocambolesque que celle-ci. Et deux autres draps, un bleu et un rouge.

Le drap blanc – en plein supplice de la goutte de larme – est en train de virer au noir. Il ne pouvait plus continuer à faire semblant, son puits de phrases clichées s’asséchait. Elle aussi, en avait assez, elle ne pouvait pas s’empêcher de pleurer.

Quelques heures passèrent. Une fois prête, elle quitta son appartement et sortit de sa vie.

« L’amour ne m’aime pas, je le prends avec humour » dit-il en se replongeant dans son lit trempé. « Pourquoi ai-je l’art de décevoir celles qui m’aiment ? »

Pourtant, elle avait tout pour lui plaire. Si ce n’était pas pour son obsession des détails, il l’aurait peut-être même épousée. Elle était prête à tout pour ses beaux yeux marron foncé. Elle était dans la moyenne en termes de centimètres. Entre le mètre soixante-dix sans talon et plus avec. Désinvolte, elle n’accordait pas trop d’importance au superficiel c’est-à-dire à son physique. En d’autres mots, son style vestimentaire était aussi banal que possible. Elle arborait du noir en toutes circonstances. Comme si elle voulait constamment rendre hommage à cet adage invraisemblable : « Ce n’est pas le physique qui compte ».

Il a été frappé de savoir que son pull XL noir cachait d’aussi beaux seins. Un atout voilé par ses habits et la force de ses mots qu’elle maniait habilement. Volubile, idéaliste, passionnée, humaniste, elle avait foi en l’Homme – et non en Dieu – lorsque personne n’y croyait. Ses actions étaient rarement en contradiction avec ses dires. Elle défendait ses idées jusqu’à la dernière virgule ; vu qu’elle ne s’arrêtait jamais. Ce qu’elle détestait par-dessus tout, la paresse intellectuelle. Elle admirait ceux qui avaient le courage de la contredire. Elle adorait débattre de choses. Avide de connaissances, elle en a fait son charme. Il y succomba.

Chapitre 1 – Drap blanc

[…]

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