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Francesco Totti – Le don des larmes

Je saisis rarement les chances de parler de ce qui fait que le football demeure le meilleur sport collectif au monde. Je saisis trop rarement les chances de parler de ce qui fait du football est un art à part entière.

Si je parle de Totti ce soir, c’est pour rendre hommage aux artistes, à ces à loyaux serviteurs d’une ville à ces Javiers, de Pauls, Paolos et bien d’autres. « Il Grande Totti », le monument de Rome transcende la mémoire collective des fans de football. On prendra le temps d’analyser d’apprécier son legs.

Aujourd’hui, on célèbre le départ du meilleur joueur en une touche de balle au monde. Francesco Totti n’a jamais eu besoin d’une pointe de vitesse pour se démarquer car le ballon courra toujours plus vite qu’un joueur. Il est l’épitomé de la technique frugale, de l’élégance et de la passion.

Rome ne sera plus jamais pareil. Le Stadio Olimpico ne sera plus le même.

Le 28 mai 2017 est une date qui rentre désormais dans l’histoire, celle où la légende Totti a fait ses adieux au football. « Les larmes d’un Dieu », ces dernières ont coulé sur la pelouse de Rome. Ses larmes seront un signe en plus de sa présence éternelle, le don des larmes.

Quel cadeau pour le football !

Grazie mille…


Récit du Dimanche : Paris, la nuit acte I !

La nuit est silence. Son silence dort. 

Paris est blanc. Sa nuit est noire. 

Trois jeunes hommes, trois cols roulés noirs accompagnés d’une jeune maghrébine stagnaient. Ils étaient connectés, ils transmettaient en direct le moindre de leur mouvement sans jamais se déplacer. Deux jeunes demoiselles de teint noir, apprêtées et maquillées, en route vers la soirée de leur vie. Elles étaient imperméables à l’ambiance pesante et glauque, à l’odeur d’urine et d’alcool et aux dragueurs moches et éméchés.  Le contraire de cette demoiselle qui a peur de tout, du moindre regard aux pas vers elle, son visage a déjà porté plainte pour agression sexuelle.

Des corps errent dans le bus 

Des blagues meurent sans chute

Le vieil homme qui rentre du travail exténué, en sueur et qui rencontre les jeunes fêtards pré-pubères. Les alcoolos lourds qui tentent de draguer des femmes peu réceptives. Une rencontre qui finit souvent en insultes. Des insultes c’est ce que marmonne le sans domicile fixe affalé paisiblement dans le bus, son périmètre d’intimité, avec son odeur comme clôture. Très loin de celui qui a trop d’énergie, un « forceur » sobre, qui tente des acrobaties burlesques sans queue ni tête qui ne fait rire personne.

L’alcool a peur du silence;

Les cons aime défier son sens

Les lascars qui veulent faire du bruit, qui s’improvisent rappeur car la nuit ne juge pas, qui s’improvisent percussionnistes car le bus ne bouge pas, qui s’improvisent philosophes car l’alcool rend volubiles. Les lascars crient mais personne ne les écoute. Le public est loin d’être acquis à leur prose. Le public a des écouteurs dans les oreilles et des casques sur la tête. Le public est dans son monde, il ne réagirait même pas en cas de meurtre. Evadé.

On ne les entends pas quand les oiseaux chantent 

Ils se vengent quand les rats chuchotent. 

Le troisième âge en virée sur Paris, tourisme ou simple lubie; qui découvre le rap dans sa forme la plus vulgaire et qui ne peut que le définir comme le contraire de la quiétude. Un jeune homme louche, capuche sur la tête dans l’allée du noctilien, sort son carnet et se met à gribouiller contre la vitre à l’heure où le silence souffre d’insomnie.Il est bizarre. Il défie la norme nocturne. Tout le bus le regarde, bizarrement. Je me demande si la nuit aussi ?


Pogba : Bon danseur égale bon dribbleur ?

L’article pourrait tenir dix signes en usant de Ronaldinho comme exemple pour mon syllogisme. Et si l’héritier de ce dernier génie n’était pas brésilien. Paul Pogba sur les pas de danses de Ronaldinho, « bail de favela » comme on peut lire sur son compte Instagram.

Il y a quelques années, je me demandais où étaient passés les dribbles dans le football. Quelques Pogba plus tard, c’est le statut quo. Même s’il y a quelques dribbleurs par ci et par là. Tout d’abord, qu’est qu’un dribbleur ? Qu’est-ce qu’un dribble ? Qu’est-ce qu’un bon dribbleur ?

Un dribble est l’action de passer son vis-à-vis. A ne pas confondre avec le dribble au basket qui est juste l’action de contrôler la balle en la faisant rebondir contre le sol. Ainsi courir avec le ballon n’est pas dribbler mais courir avec le ballon est dépassé un adversaire l’est. En effet, le dribble ne veut pas forcément dire passement de jambes, crochets ou autres danses avec le ballon. Ceux sont juste des accessoires du dribble. D’ailleurs, un bon danseur fait généralement un dribbleur fantasque. Quelques danseurs actuels tels que Pogba, Cuadrado, Bolasie, Neymar valident cette affirmation.

Voir le Roi du Dab dribbler me procure peu ou prou les mêmes sensations que regarder le combat de Gohan(san) en Super Saiyen 2 contre Cell. Toutes proportions gardées. Il commence même à me faire le même effet qu’un contrôle moyen de Ronaldinho. Il est aussi vrai que certains savent dribbler sans maîtriser l’art du »dab » sur le dancefloor. Heureusement !

Paul Pooooooogba. Il allie pâtisserie et boulangerie, en d’autres mots il allie des délices de tout genre et des pains, dribbles et buts… Tout est fait dans le dessein de servir le jeu, sans pour autant desservir le sien. C’est en cela uniquement en cela qu’il synthétise un mélange ubuesque entre Bergkamp pour le respect du jeu et Ronaldinho pour l’harmonie entre le jeu et son jeu.

La Pioche est encore très jeune et est déjà l’un des meilleurs à son poste. A différence de Marco Verratti, Paul est à la fois décisif à la passe et à la conclusion. La seule chose qu’il lui manque est l’expérience. Qu’est ce que l’expérience ? Des titres, des victoires, des matchs importants, des défaites en finale, tout cela de manière continue. Il est sur la bonne voie.

A son carquois déjà bien rempli, l’international français ajoute aussi une rigueur défensive impressionnante. Il est très dur à déborder en un contre un et son physique lui permet de dominer dans les duels aériens. Avec la Juventus, Pogba rayonne. Une évidence pour le néo N°10 de la Vieille Dame qui a su très vite annihiler les doutes survenus en début de saison. Dans une équipe synonyme de sobriété technique, il ajoute ce zeste d’imprévisibilité qui peut changer et qui change un match.

Ses points faibles : « Il est tellement facile que parfois, il a tendance à en faire trop » dirait Lizarazu, consultant sur TF1. Je suis d’accord mais je formulerai plutôt de la sorte : «Il ne respecte tellement personne que parfois c’est trop».

Du Abou Diaby seulement en ce qui concerne son ratio taille/agilité. Sinon dans le jeu, ces deux joueurs n’ont rien de similaire. L’école anglaise peut se féliciter de sa frappe de balle et de son jeu long. Le 77 (US Torcy et Roissy en Brie) est responsable de tous les reins cassés, toutes les chevilles plantées dans le gazon par la pioche.

Après une bonne Coupe du monde 2014 au Brésil, le prochain test pour l’ancien Red Devil est dans deux mois, l’Euro 2016. A 23 ans, Labile a déjà deux équipes à porter. Le prix du talent. Nul ne doute qu’il en est coupable. Il a déjà laissé une trace mythique sur Internet par son style atypique. Est-ce assez ?

La seule voie pour laisser une trace dans l’histoire est la victoire. C’est dans ces compétitions-là, qu’on décèle les légendes des mythes de comptoir.


Le récit du dimanche : le vieux « con »

Abidjan 1995.Quatrième étage. Le football était la norme et le jeu vidéo l’exception comme le soleil était la norme et le mauvais temps la déception. Déception seulement si, tu n’étais pas ami avec Bassiriki.


Bass était mon voisin, il habitait au 3e étage. Un garçon qui a stratégiquement été placé en dessous de chez moi par le Tout Puissant pour que mon enfance soit légendaire. Bass était parmi les quelques personnes du quartier munies d’une super Nintendo. Dans le quartier, il était autant courtisé que les plus belles filles. Du coup, c’était l’ami de tout le monde. Au début, Il invitait tout le quartier chez lui pour jouer. Progressivement, il a fallu faire des choix. Certaines personnes se voyaient recalées à l’entrée, le tri devenait sélectif. Pendant la saison des pluies, lorsque nos terrains de jeux sablés devenaient impraticables, être chez Bass était un luxe.

C’est chez lui que j’ai entendu ce son pour la première fois, le « jingle » le plus excitant au monde. Un générique du début n’a jamais été aussi jouissif. Ce bruit qui glissait dans nos oreilles, cette berceuse qui nous rendait insomniaques, cette « madeleine » de Proust qui nous faisait jeûner devant la console. Tellement sexy. Une autre introduction est aussi chargée de souvenirs, c’est la métaphore de notre passé. Il serait hérétique de tenter de citer quelques jeux sans tous les mentionner. La liste ne sera donc pas exhaustive, mais servira mon propos. Street Fighter II Turbo et Megaman, quelle époque ! Au-delà d’être à eux seuls, la mémoire vive de ma jeunesse, ils servent surtout de rappel. Ils nous rappellent que le temps passe et que ce jeune de 8 ans, qui mimait Ryu et son Hadoken, est devenu un vieux con.

Le vieux « con » n’a pas d’âge. Le vieux « con » est cette personne cramponnée à son passé. Le vieux « con » est stupéfait de voir que les petits « cons » ne font, ne pensent rien comme lui. A tort ou à raison, là n’est pas la question.

J’ai étudié mon morphing, mon passage du petit « con » au vieux « con ». Je me voyais singer mon père lorsque plus jeune que moi, il s’extasiait sur quelque chose de banal selon mes critères. J’entends encore mon père me dire que les footballeurs de mon époque sont tous des pitres. « Ils ne savent pas jouer vos joueurs. Aucune élégance ! » Puis, il me parlait de Laurent Pokou, d’Abdoulaye Traoré, de Kopa, de Zico, de Socrates…

Le vieux « con » ne veut pas vivre avec les standards des petits « cons ». Il ne veut pas de nouvelles références. Avec Denilson comme meilleur dribbleur ma génération mourra, pas Lucas. Le vieux « con » s’accroche à ses souvenirs avec romance, car le présent n’est pas digne d’attention. Le temps passe et il voit son passé s’effacer, il ne l’accepte pas. A tort ou à raison, là n’est pas la question. C’est son passé, son héritage et il le défendra coûte que coûte.

La vieillesse commence par « avant c’était mieux » et se termine par demain.


Le récit du dimanche : le soleil et l’abandon

« La chaleur est un fléau à en croire la nature », dirait la sécheresse si celle-ci avait assez de salive pour s’exprimer.

L’abandon de soi est une pratique radicale lorsque le soleil devient un peu trop magnanime. Réclamé depuis six mois, le Soleil fait désormais sa diva. Il ne se contente pas de simplement briller. Non, il brûle, le coquin. Il serait redondant de dire qu’il fait sa star. Et pourtant ! Il se lève quand il veut et il se couche quand il veut. C’est ce salarié nanti qui travaille dans l’entreprise de papa et qui joue son petit chef. Il fait sa diva. Il veut régner seul dans le ciel en excluant vents et marées. Il ne partage rien et s’obstine à travailler de 6 h à 22 h sans air, au conditionnel. Diva de merde!

Dans ces moments-là, lorsque la Diva est au zénith, l’usage des transports en commun devient herculéen. Les sièges des métros absorbent de la chaleur toute la journée. La chaleur de tous ces corps chauds, humides, gluants, sales, visqueux, louches, qui viennent tour à tour se laisser choir nonchalamment sur ces banquettes. Les rayons de soleil aussi vont se poser sur ses sièges, les rendant donc complices des sueurs passagères. Le simple fait de le décrire me fait froid dans le dos. Toutefois, il existe une manière radicale pour survivre pendant cette période. C’est la solution ultime, le dernier recours lorsque plus rien ne va.

L’école de l’abandon de soi fut créée en 2003 lors de la canicule de la même année. Après, une rude bataille dans le métro 4 anciennement appelé « La ligne du diable », un passager qui venait de sortir de chez lui ; tout juste lavé et parfumé, en mode (comme on le dirait à l’époque), fut pris dans un guet-apens. Encerclé par une horde de passagers dépourvus de manches, en grève-surprise de déodorant, inondés de sueur, aux mains moites et à l’haleine rebelle; il décida d’agir. Les frottements qu’implique un métro bondé ont des conséquences psychologiques brutales sur un être humain. Un bras humide contre un autre, une jambe humide contre une autre, un genou contre un autre, même un regard mouillé contre un autre, suffit pour transmettre une sensation désagréable.

Il décida d’abandonner son corps. Dans ces instants-là, l’abandon est louable, l’abandon de son corps est à louer. (à part – J’emprunte un jeu de mots qui vous éloigne du sens et j’en suis fier. Il n’est évidemment pas question de prêt, mais d’abandon.) Il sépara ce que son corps ressentait (agression olfactive) de ce que son corps aurait aimé ressentir (l’air frais). Il arrêta de lutter contre l’inévitable, la nature et il se fondit dans la masse. Il ne cacha plus ses auréoles et écrasa quelques perles en baillant la bouche ouverte. Il jeta son paquet de Tic Tac et s’assit à côté d’une jeune dame alors qu’il y avait un strapontin de libre en face. Il éternua et s’essuya sur la barre centrale en se grattant la gorge. Il abandonna son corps avec superbe et fit depuis jurisprudence.

Ne luttez pas avec la chaleur, c’est un match aussi déséquilibré qu’un terroriste blanc. Puis, cela ne fera qu’accentuer vos averses de transpiration. Laissez-le partir sans remords et avec assurance. Vous le retrouverez bientôt, votre joli corps sec. Embrassez ces heures de pointe métropolitaines. Embrassez cette cohue infestée, allergique au savon de Marseille. Laissez votre corps s’échapper. Une jambe contre une autre, un bras humide sur votre dos nu, des cheveux dans vos narines, un postérieur entre la barre de fer et votre main d’appui parfois le contraire ou parfois les deux en même temps, parfois une barre sans le fer, ou une main qui appuie, selon les quais. Des gouttes dégoulinantes sur votre T-shirt blanc, des gouttes qui s’avèrent ne pas être les vôtres. Des postillons qui atterrissent inopinément sur vos lèvres et qui appartiennent au mendiant de l’heure de pointe. Le plus sérieux de sa profession… Des valises sur vos chaussures neuves, votre propre sueur mélangée à celle de tous les autres passagers qui pourrait être inflammatoire selon la RATP. Les pets silencieux lâchés en toute promiscuité, avec mention anonymement correct. Cette odeur irrespirable devient vôtre odeur malgré le tout dernier gel douche Dove parfum Karité et Vanille que vous venez d’écouler. Ce moment a pour contraire l’objet d’une salle de bain. Vous entrez avec un corps propre et vous ressortez sans votre corps sale.

Pour éviter cette déconvenue, il faut abdiquer devant une telle situation, abandonner son corps avant que celui-ci ne démissionne de son propre chef. Tout est dans le mental. En embrassant cette litanie d’obscénités on se cramponne à un songe réalisable, un espoir atteignable, une oasis sucrée. Etre chez soi et retrouver son corps dégoulinant de mousse Dove.


Extrait : Les draps d’un obsédé

« Merde… » murmure-t-il.

Il vient de briser un cœur. Une fille pleure dans ses nouveaux draps blancs. Embarrassé, il ne sait pas quoi dire après lui avoir avoué qu’il ne concevait point un futur avec elle. Dans ces moments-là, il n’y a aucun mot dans aucune langue morte ou vivante, vernaculaire ou tribale, qui puisse consoler sa déception. Conscient de la violence de ses actes que j’expliciterai un peu plus loin, conscient aussi de la détresse d’une femme, qui voyait en lui son homme idéal, il n’était pourtant point triste.

Il était plutôt ému comme s’il n’était pas coupable. Une flamme déclarée, aussitôt éteinte avec une froideur stridente. Il pleurait même avec elle tel un spectateur compatissant à son malheur, ignorant la vraie raison de ses pleurs.

« Je t’aime, s’il te plaît aime-moi ! » implorait la fille aux cheveux lisses.

 » Je ne te mérite pas, je me hais tellement de te faire du mal  » répondait le briseur de cœur avec la voix la plus suave possible. Il prit son rôle au sérieux.

Il excellait en termes de double casquette. Il jouait la scène avec justesse et il ressentait une émotion pure en tant que tiers.

Violent. Il fixait son visage inondé de tristesse qu’il n’a jamais trouvé spécialement joli. Quelques boutons décoraient ce blanc scandinave qui tapissait un faciès raide et fin. Son nez était similaire à celui d’un adorable petit carlin. Il pointait vers le haut comme pour renifler à plein temps. Juste en dessous reposaient ses lèvres, aussi épaisses qu’un ticket de métro. A l’opposé de ses canons de beauté qui loue la volupté, la rondeur, la chair comme un tableau de Charles-Stephen Laubhouet.

Trempé, son maquillage peignait la plus terne des toiles vivantes. Ses joues pâteuses étaient le point de rencontre de ses larmes et de sa main molle d’empathie. Comme un essuie-glace, il tentait en vain d’enlever ses quelques traits circassiens qui altéraient le sérieux du dénouement.

« S’il te plaît, essayons. Ça peut marcher entre nous » dit-elle d’une voix éreintée.

Le baroud de déshonneur. Il ne répondra pas directement. Il laissa un temps mort. Le temps de laisser mourir un peu plus ses maigres espoirs.

Il essaie de la regarder comme une femme blessée et non comme un triste clown de cirque. Les yeux plissés, un rire contenu, des larmes de circonstance, il rétorque enfin avec conviction et emphase :

 » J’aimerais tant… mais je n’y arrive pas. Tu aimes l’image que je te donne de moi. Le moi, le vrai, est pitoyable et ne te mérite pas.  »

Ses sanglots ensevelissaient ses nouveaux draps blancs qu’il venait d’acheter à Carrefour, quelques jours plus tôt. Une réelle affaire, vu que le deuxième drap – de la couleur de son choix – était à moitié prix. Oui à moitié prix. Il prit donc quatre draps. Un blanc, celui qui en train de se faire souiller par la moche, un drap marron, encore neuf qui aura une histoire encore plus rocambolesque que celle-ci. Et deux autres draps, un bleu et un rouge.

Le drap blanc – en plein supplice de la goutte de larme – est en train de virer au noir. Il ne pouvait plus continuer à faire semblant, son puits de phrases clichées s’asséchait. Elle aussi, en avait assez, elle ne pouvait pas s’empêcher de pleurer.

Quelques heures passèrent. Une fois prête, elle quitta son appartement et sortit de sa vie.

« L’amour ne m’aime pas, je le prends avec humour » dit-il en se replongeant dans son lit trempé. « Pourquoi ai-je l’art de décevoir celles qui m’aiment ? »

Pourtant, elle avait tout pour lui plaire. Si ce n’était pas pour son obsession des détails, il l’aurait peut-être même épousée. Elle était prête à tout pour ses beaux yeux marron foncé. Elle était dans la moyenne en termes de centimètres. Entre le mètre soixante-dix sans talon et plus avec. Désinvolte, elle n’accordait pas trop d’importance au superficiel c’est-à-dire à son physique. En d’autres mots, son style vestimentaire était aussi banal que possible. Elle arborait du noir en toutes circonstances. Comme si elle voulait constamment rendre hommage à cet adage invraisemblable : « Ce n’est pas le physique qui compte ».

Il a été frappé de savoir que son pull XL noir cachait d’aussi beaux seins. Un atout voilé par ses habits et la force de ses mots qu’elle maniait habilement. Volubile, idéaliste, passionnée, humaniste, elle avait foi en l’Homme – et non en Dieu – lorsque personne n’y croyait. Ses actions étaient rarement en contradiction avec ses dires. Elle défendait ses idées jusqu’à la dernière virgule ; vu qu’elle ne s’arrêtait jamais. Ce qu’elle détestait par-dessus tout, la paresse intellectuelle. Elle admirait ceux qui avaient le courage de la contredire. Elle adorait débattre de choses. Avide de connaissances, elle en a fait son charme. Il y succomba.

Chapitre 1 – Drap blanc

[…]


Je pleure mais ça va ! 

Parce que l’émotion est palpable. Parce que les larmes sont lourdes. Parce que la joie et la tristesse se marient et que rien de ce monde ne peut les séparer. Parce qu’il n’y a jamais de prétexte d’être heureux. Parce que ce n’est pas qu’un ballon. Non c’est beaucoup plus que ça.


Parce que… j’ai regardé un documentaire sur une chaine belge, qui contait le parcours de Copa Barry, pensionnaire du club belge de Lokeren. Il est issu du centre de formation de Jean Marc Guillou, un illuminé qui avait pour fantasme de jouer au football avec l’âme d’un enfant. Les enfants aiment le ballon, le toucher, le caresser, sans jamais le lâcher, les Yaya, les Kolo, les Gervais. Les enfants voulaient juste s’amuser sur les terrains rouges d’Abidjan. Depuis, les enfants sont devenus grands, forts grâce aux terrains rouges, grâce à Guillou, grâce à l’amour inconditionnel qui émanait des quatre points cardinaux de la Côte d’Ivoire. Les enfants veulent nous rendent cet amour qui les a fait briller, scintiller, vibrer, voler ; qui les a sublimé. Les enfants veulent nous dire merci depuis une décennie de la seule manière possible, sur le terrain rouge d’Afrique.
Copa Barry est un de ces enfants. Dans ce reportage donc, sur le portier des Éléphants depuis 2006, il nous parlait de sa vision de la vie. Il disait approximativement que le football est une bénédiction et que son seul rêve depuis l’académie de Guillou était d’offrir une maison à sa maman. Il l’a fait, bien avant de connaitre l’Europe en club en économisant ses premiers et maigres salaires de joueur de 16 ans. Il rêvait aussi d’apporter la Coupe d’Afrique des Nations à sa famille, à ses frères ivoiriens, à son pays. Il en a eu des possibilités, celles si se sont terminés en larmes comme aujourd’hui.

Oui car Copa était notre « ennemi », notre bouc émissaire, notre prétexte, notre « Hé Seigneur », notre malheur, notre « Assieds-toi, reste dehors ». Copa est t notre pouls, notre tension, notre haut le cœur. Il est avant tout NOTRE. Ses prestations depuis une décennie nous avait habitué à accepter cet adage : «Eléphant sans défense, c’est Éléphant quand même ou bien ? ». Relégué sur le banc – depuis le début de la CAN – par la montée en puissance de Sylvain Gbohouo, Copa était résigné à souffrir, à supporter ses coéquipiers avec nous spectateurs. Sauf que… ce 8 février 2015, le destin lui a offert une dernière chance de réaliser son rêve. Sa titularisation a été vécue comme une défaite en avance par la plus part des ivoiriens, dont moi. Moqué, critiqué, son éloge était parfumé d’ironie dans les chansons en hommage aux Éléphants…

Parce que c’est dix années de défaites. Parce que c’est une génération qui nous représente avec qui on est devenu « mazo » tellement l’amour est supérieure aux pléthoriques déceptions. Parce que c’est tellement triste et joyeux en même temps. Triste parce que c’est celle que Drogba a manqué. Parce qu’on pense à tous nos joueurs qui y ont contribué et qui n’ont pas pu nous dire merci sur le terrain. (En vrac : Popito. Zokora. Boka. Bamba, Eboué, Demel, Zoro, Koné… Merci). Cette victoire – sans Didier – est indubitablement le plus beau film romantique ivoirien au monde.

Copa, aujourd’hui est un héros. L’entendre parler après le match de sa mère qui souffrait de ne pas le voir jouer, pendant que nous jubilions de son malheur, nous qui le critiquions dès lors qu’il daignait simplement s’échauffer aux abords du terrain. L’entendre verser une larme en nous pardonnant…c’est un beau moment. On ne peut pas l’expliquer. On ne doit pas l’expliquer. Ce n’est plus qu’un ballon. Non, c’est beaucoup plus que ça. L’expliquer serait détruire ce moment d’ivresse, d’allégresse, de folie, de magie, de tristesse, de joie, d’amour, d’espoir, de solidarité, d’union, de fête. Je pleure mais ça va, mes larmes sont sucrées…


Extrait : Les philosophes du 94

[…] Immersion au sein d’un crew, d’un groupe d’amis abonné à philosopher en bas des « blocks », des immeubles du 94. Une soirée blanche au cœur du quartier. Ça taille, ça charrie, ça taille encore, ça monologue, ça éduque, ça désinforme, ça rigole, ça roule, ça vit.

23h12, la rue Hervé Dufresne est déserte. Les réverbères munis de photodétecteurs n’ont ni détecteur ni photo. Ils n’éclairent pas plus que la lune. Autour du grec, quelques ombrages font leurs dernières rondes avant de disparaître dans la pénombre. En s’enfonçant dans le quartier, on constate le coté purement décoratifs des lampadaires sphériques placés à la périphérie des voies piétonnes. Bruyants et décoratifs uniquement. On entend du son, du rap de maintenant, des bruits de chaises, du scooter de Momo, de clés, des cris mêlés aux rires moqueurs, des insultes, des jeunes et des anciens.

– « J’ai entendu Pogba au Real Madrid ! » s’excite un des zonards.

Le rituel est toujours le même. Les ombres dessinent de mauvais garçons insomniaques qui veulent à tout prix prolonger leur habitude de la journée. Se retrouver au fond du quartier, autour de quelques verres de soda, en apparence, avec du « trap français » en musique d’ambiance. Le dessein ? Parler jusqu’à ce qu’il n’y ait plus mots; philosopher. Le mobilier est étrangement confortable. Un vieux canapé en cuir troué, ramassé sur le tas, en bas d’un bâtiment voisin, deux fauteuils abîmés mais assez moues, quelques chaises, un banc et le pied des immeubles; qu’ils tiennent. Les verres en plastique tournent autant que le spliff pendant que le cas Pogba est débattu intensément au sein du comité.

– « Y a rien à dire, il est lourd. » dit Mamadou d’un ton autoritaire, avec son éternel briquet jaune en main.

– « Hé pour moi, il est plus fort que Ribéry hein » approuve son comparse de toujours, Maurice, qui insiste à ce qu’on l’appelle Momo depuis petit.

– « Mais t’es un ouf, Ribéry mon frère, il a tout gagné. Pogba a fait une bonne saison, c’est tout » tempère Dani, alias Cr7 et demi, comme son sobriquet l’indique, il met beaucoup de gel dans ses cheveux.

Les avis convergent parfois lorsqu’il s’agit de football. La plus part des mecs du comité ont presque tous déjà tapé dans un ballon. Les plus vieux ont même côtoyé les stars d’hier et les plus jeunes ont des amis Facebook en commun avec celles de demain.

– « Hé, j’ai entendu Ribéry va revenir en sélection pour l’Euro, za3ma* » ajoute Momo, alors que le sujet avait déjà pris le large. On regardait Habdi faire des « trucs », faire du lourd avec le scooter de Maurice.

– « J’ai vu un gars, il était sur la tête quand il roulait, la vie de moi » s’enthousiasme Momo, toujours prêt à abattre l’ombre d’un silence.

– « Dis wallah » lui rétorque Mamadou.

Sans hésiter une seconde. Momo répondit avec la gestuelle adéquate, la main devant la bouche comme pour soutenir la première syllabe :
-« Waaaa-llah mon frère ».

Le scooter de Momo atteignit son millième aller-retour. Un nouveau cascadeur de nuit prit le relais au grand dam des salariés du quartier. Les lampadaires n’éclairaient pas plus que les briquets qui ravivaient quelques substances licites selon l’éthique.

– « Mon frère aux States, ils ont le FBI et la CIA ici, on a rien » lança Rachid qui venait de se joindre à la bande.

– « Y a le RAID gros » fit Momo sans vouloir passer pour celui qui savait tout.

– « Hé azy c’est des salopes eux. Quinze pour caner un mec mon frère. De quoi tu parles ! » ajouta le dernier arrivé.

– « J’avoue… » dit Momo, facilement convaincu. « Hé Jimmy ! Les gars, y a Jimmy. »

Jimmy, muni d’une casquette – en cavale depuis son évasion des années 90 où on l’appelait Lacoste – décida d’éduquer les jeunes du quartier qui palabraient d’actualité, en autre. Cigarette au bec, un verre alcoolisé ceinturé avec deux doigts et d’une voix rauque, il sortit:

-« On se fait tous niquer. Tous là, on se fait niquer. Toi, lui, lui, tous. On est là et tout… on parle, parle dans le vide; la vérité c’est qu’on se fait mettre. »

-« Moi, je me fais mettre rien du tout mon frère. Ah ouais ! » se défend Mamadou, à fleur de peau sur tout ce qui est pénétration masculine.

-« Tu te fais mettre comme tout le monde » reprend l’ancien qui ne jure que par les années 90. »Vous pensez que ce qui se passe c’est du hasard ? Vous êtes là vous regardez la télé, vous croyez tout comme des moutons. Rien n’arrive comme ça en France. On est tous là, on rigole et tout parmi nous il y a des balances. Il y a des gars infiltrés qui taffe pour eux. Tu crois quoi ? Ils savent tout ce qui se passe ici. Ils savent tout. Dans toutes les cités, il y a des indics. Toutes les té-ci. Même les gars-là, qui trainent les matins qui vont chez vous avec des Bibles et Jésus là. Les gens là chelous mon frère qui viennent tout le temps-là… »

-« Ah oui, eux qu’ils veulent te montrer le chemin de Dieu et tout. C’est les témoins de Jéhovah » commente Momo.

-« Oui, les témoins de Jésus là où je sais pas quoi ! Ouais ces bougs genre c’est des agents secrets. Ils recensent, ils espionnent quand ils viennent chez vous…  »

-« Wow, t’es loin cousin » coupa un des petits qui venait à peine d’arriver dans la ronde nocturne.

-« Restez-là à dire de la merde. Les vrais savent » signe-t-il en embarquant la bouteille de Oasis tropicale parfumée au Label numéro 5, un cul de joint et le briquet de Mamadou […]


L’écrit vain (II)

De mes écrits, émergera mon nom. Haha ce n’est pas mal, il faut d’ailleurs que je note cette belle phrase. 

De mon cri émergera mon non à la littérature classique. Avant-gardiste, je serai. Je souhaite devenir un écrivain. Je veux que l’on sache que je suis un homme de lettre, rien qu’en me regardant. Pour se faire, j’effectue une recherche photographique des plus beaux écrivains du XXe siècle sur Google, puis j’entrevois un documentaire sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel pour me rapprocher de l’authenticité de mes prédécesseurs, un raccourci sur le site d’ASOS pour les soldes look dandy, je n’oublie pas de vérifier si ma demande pour rejoindre le groupe Facebook « Ecrivain en tweed » a été acceptée. Toujours pas !


Néanmoins, le dessein prend forme. Les planches emboîtent. Il faut maintenant que j’écrive. Je suis à la recherche de mon stylo à plume et d’un cahier d’écriture. Les outils indispensables d’un réel écrivain. Affalé au fin fond de mon canapé depuis la fin de ma très grasse matinée, je dévore au passage des vines ridicules, ces vidéos de cinq secondes qui résument parfaitement l’avancée de l’humanité, tel est mon travail de recherche. J’ai flashé sur un carnet « en cuir noir de fabrication artisanale italienne avec lien et boule de bois, couverture souple avec gravure en relief » soldé a trente-six euros sur un site d’initiés. Mon dessin prend corps. 

Bon, il faut que j’écrive. Des millions d’idées me traversent l’esprit. Par exemple, un roman policier sur le meurtre des pigeons de la rue Henri Cardinaud. Pour faire court, il s’agira d’une enquête menée par deux pigeons, l’Elite de leur race, experts dans leur domaine. L’un s’appellera Gobate dit le Lynx de Pologne et l’autre Bolate surnommé Bobo du fait de son aphonie. Ces derniers devront élucider le mystère que représente cette rue cristolloise où la recrudescence des meurtres de pigeons a cristallisé les tensions entre les hommes et les oiseaux. L’histoire se situera à deux plumes d’une série noire, des descriptions barbantes des différents plumages de pigeons, l’ornithophobie de Gobate et l’hypocondrie de Bolate qui pense avoir attrapé la grippe aviaire. Un couple hors pair, non ? Ce n’est qu’une idée. 


Sinon, une histoire d’amour entre Olivier et Véronique. Rencontrés sur « twitter », ils sont tombés amoureux l’un de l’autre, après s’être rendus compte qu’ils « retweetaient » les mêmes choses depuis un an, à savoir les « tweets » de Mathieu Delormeau. Ils se sont parlé par message privé 140 caractères de niaiserie. Une relation qui va bientôt être confrontée à un défi de taille. Ils vont s’ajouter sur Facebook et projettent de se faire une conversation vidéo sur Skype. Leur idylle tiendra-t-elle le coup ? Est-ce le réseau-social de trop ? 
 
En parlant, de Facebook, j’ai été accepté dans le club de la crème de la crème des écrivains amateurs. Mon nouveau statut : « Je suis un écrivain, je suis un écrivain, je suis un écrivain, salope. » Je le suis car je le clame haut et fort.

A suivre…


Sagnol, j’ai mal aux mots !

« Les mots sont stupides » disait le protagoniste de Boyhood – écrit et réalisé par Richard Linklater – car selon lui, ils ne sont pas assez infinis pour définir notre existence.

Les mots sont stricts car ils sont subordonnés à une définition précise. Ils sont mariés à un sens jusqu’à ce qu’un trope les sépare. Les mots restent fixes, figés, ils donnent une signification précise qui interpelle notre sensibilité. Les mots ont une force terrible, de sorte que toute personne en possession de maux quelconque puisse infliger une souffrance sans précédent à son interlocuteur et cela en deux mots : « Quel con ».

Les mots blessent, pansent, réconfortent, s’effacent, se dépravent, se substituent, changent, se contredisent. Les mots sont complexes et complexés par la recrudescence d’images comportant elles, peu de mots. Même quand leur sens est restreint et prédéfini, l’image entretient le doute. Son interprétation peut même faire frémir le sens initial.

Les mots s’abrègent, se diluent et nous proposent une synthèse de notre pensée. La technologie a accéléré la mise à mort des mots. La facilité prônée par la modernisation, va vers un slogan tout trouvé : « Moins de mots, plus d’images ». Nous vivons dans une époque où les mots sont persécutés. Ces derniers sont obligés de se prostituer pour apparaitre, de fusionner pour transparaitre. Le mot-valise est l’exemple même de la banalisation de la mise à mort des mots par le bon mot.

Il est commun d’être rebuté par l’abondance de mots dans un texte. Combien d’entre nous préfèrent se contenter d’un laconique résumé dès lors qu’une division de mots nous attendrait au front ? Nous privilégions une escouade de jeux de mots bêtement choisie pour nous mastiquer le travail en d’autres termes, pour sérieusement nous divertir. Le sens qui en découlera, aussi imparfait qu’il sera, fera drôlement l’affaire.

Le contexte raidit le sens d’une phrase comme il peut l’adoucir. Un ami qui dit à son ami : « Suce-moi » n’est pas forcément une offre mais plutôt une impolitesse facétieuse. C’est aussi ça les mots, un contexte à prendre en compte, une mentalité, une forme, une culture, une intimité…

Nous pouvons nous repasser une phrase en boucle dans nos têtes, son sens froissera toujours notre sensibilité ; quand bien même, le cœur de son auteur ne serait guère en fer. Un mal aux maux. Et si, ce mal était intérieur ? Et si notre sensibilité aux mots d’autrui résidait dans notre mal propre ? Evidemment me dirait-on. C’est bien là, le danger des mots, le pouvoir qu’ont ces syllabes simplement pensées aux conséquences incongrues sur autrui.

« Sagnol, j’ai mal aux mots » est une fine anagramme de ma part, une faute d’inattention dans les feux de mes revues de presse quotidiennes.  Je pensais Pagnol et le S a surgi par effraction. Il n’est malheureusement pas question de racisme, de polémique, de quota ou encore de ballon dans ce texte. Il est question de maux, de sensibilité et encore plus de mots. Une réflexion nocturne née durant un coup de fil à un ami insomniaque… Bref, Marcel Pagnol disait « Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images. » J’ignore ce qu’il entendait par son noble mais l’a-fri-cain – selon moi – l’a, ce son noble.